Imaginons que Cendrillon avait plaqué serpillière, haillons, chaussures en verre et palais pour vivre dans une petite maison où elle aurait été autonome, insoumise et libre ! Imaginons qu’elle n’avait jamais eu besoin qu’un prince libérateur vienne à sa rescousse lui faisant subir le test de la chaussure pour qu’elle s’en sorte.
Cendrillon, en petite fille de bonne famille devait se soumettre aux ordres de belle-maman, d’ailleurs avait-elle le choix ? Et, pour être délivrée de cette dernière, intervention magique et prince charmant devaient obligatoirement venir à sa rescousse.
Les contes populaires ont souvent été puisés dans la tradition orale puis adaptés pour servir de manière didactique. Kalila wa Dimna était destiné à l’éducation des princes, les contes populaires locaux ou occidentaux ont servi aussi d’outils pédagogiques pour l’éducation de générations d’enfants à travers les temps.
Les codes de la société, l’idéal, l’exemple, le stéréotype sont véhiculés par les personnages de ces contes, par les leçons et les morales qu’ils transmettent.
Mais, les contes ne traitent pas de la même manière les femmes et les hommes. Les femmes étant assujetties à des codes plus stricts auxquels elles devaient se soumettre.
Le patriarcat les privait de toute initiative, de toute pulsion, leur attribuait un rôle passif totalement dépendant de celui des hommes. Leur sexualité était cadrée par le mariage et leur autonomie absente, interdite.
Le patriarcat étant l’ordre social paternel, où les hommes dominent, la répression sexuelle des femmes y est le seul garant du droit ou de la reconnaissance de la paternité. Et les contes ont bien su transmettre aux petites lectrices ce message.
Considérés souvent comme des guides ou des supports psychologiques pour les enfants, les contes mettent en scène les rapports entre les genres, entre les sexes, indiquant à chacun le rôle qui lui est attribué par la société. Ces représentations ne sont pas sans influence sur le développement des enfants, futurs adultes de demain. « Il (le conte) l’éclaire sur lui-même (l’enfant) et favorise le développement de sa personnalité » Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées.
Outre les stéréotypes, la symbolique véhiculée par ces contes a fait souvent l’objet de recherches par les psychanalystes comme Freud ou Bettelheim. Ce dernier cite le conte du Petit Chaperon Rouge :
« Le thème central de ce conte, selon Bettelheim (1976), est la peur de la petite fille d’être dévorée. Dans la maison de ses parents, elle est protégée alors que dans la maison de sa grand-mère, elle se trouve angoissée des conséquences de sa rencontre avec le loup. Le problème qu’elle doit résoudre, ce sont les liens œdipiens qui peuvent l’amener à s’exposer aux tentatives d’un dangereux séducteur (le loup). » Carina Coulacoglou Le Carnet PSY 2006/6 (n° 110).
Critiques féministes des contes pour enfants
En effet, dans les contes, il y a deux moules, le premier, destiné aux femmes qui sont dans l’attente, la passivité. Elles subissent les injustices sans se révolter et leur soumission est plutôt appréciée, elle fait leur vertu. Parfois, elles dorment dans un cercueil dans l’attente d’un baiser qui leur redonne la vie. Sans homme, la vie est assimilée à la mort.
L’autre moule destiné aux hommes, est plus large et leur permet d’être actifs, ils sont maîtres de leur destin, ils sont le héros qui se bat, qui combat, qui libère la princesse qui attend sagement sa venue. La place de l’homme est dehors, celle de la femme se trouve à l’intérieur du foyer.
Dans les années 70, ces contes ont fait l’objet de critiques sévères de la part des féministes dont certaines sont allées jusqu’à la réécriture de ces histoires.
« La petite fille apprend que pour être heureuse, il faut être aimée. Pour être aimée, il faut attendre l’amour. La femme c’est la Belle au bois dormant, Peau d’Âne, Cendrillon, Blanche Neige, elle reçoit et subit. Dans les chansons, dans les contes, on voit le jeune homme partir aventureusement à la recherche de la femme, il pourfend des dragons, il combat des géants ; elle est enfermée dans une tour, un palais, une caverne, enchaînée à un rocher, captive, endormie, elle attend. Un jour mon prince viendra… » Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe.
Toutes ces princesses des contes de Perrault, de Grimm ou même de nos contes populaires ont souvent en commun des traits physiques, des normes, qui font que les hommes s’intéressent à elles : toutes sont belles et n’ont que leur beauté pour charmer le chevalier ou le prince.
Dans le conte berbère de la vipère à sept têtes, la belle princesse est donnée en offrande au monstre et c’est le chevalier qui, passant par là, décide de la sauver. En guise de récompense, il gagne en trophée la princesse qu’il épouse et hérite du royaume de son père.
« Les mœurs sont bien loin d’octroyer à celle-ci [la femme mariée] des possibilités sexuelles équivalant à celles du célibataire mâle ; en particulier la maternité lui est à peu près défendue, la fille mère demeurant un objet de scandale. Comment le mythe de Cendrillon ne garderait-il pas toute sa valeur ?
Tout encourage encore la jeune fille à attendre du “prince charmant” fortune et bonheur plutôt qu’à en tenter seule la difficile et incertaine conquête. En particulier, elle peut espérer accéder grâce à lui à une caste supérieure à la sienne, miracle que ne récompensera pas le travail de toute sa vie. Mais un tel espoir est néfaste parce qu’il divise ses forces et ses intérêts », Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe.
Réécriture des contes
Beaucoup ont tenté à travers l’histoire de réécrire les contes de fées pour en faire des versions plus justes, plus équitables ou pour critiquer les contes classiques. Des écritures parfois qualifiées de subversives, mais utiles à une prise conscience.
Petronella est un conte écrit par Jay Williams en 1973, il raconte l’histoire d’une princesse qui défie Albion l’enchanteur et s’en va sauver son prince.
Les rôles s’inversent, la princesse est active, brave et intelligente, elle ne manque pas d’astuces durant son aventure.
Dans the Practical Princess, Badelia, l’héroïne du conte de Jay Williams défie un dragon et sauve le prince endormi par un charme.
Mary Pope Osborne a repris les contes de Grimm en changeant le personnage. Ainsi, dans ces contes qui s’adressent aux enfants, La Belle au bois dormant devient un petit garçon « Bobby », Jack n’est plus le héros au haricot magique, mais Kate, etc.
Le héros n’est plus exclusivement masculin ou alors il l’est, mais tout aussi vulnérable que puisse l’être un être humain sans ségrégation, aucune. D’autres modèles ont ainsi vu le jour en rupture avec les anciens, en rupture avec les stéréotypes.
Des écritures qui correspondent à différentes époques, mais aussi à différents courants féministes.
Entre réécritures, parodies et autres genres de récits qui reprennent la même structure que le conte classique ou créent leur propre structure, un vent nouveau a soufflé sur le conte, mais le chemin est encore long, les contes populaires dans leur version classique ont encore de « beaux jours » devant eux.
En attendant que Cendrillon fasse les bons choix, que la Belle au bois dormant se réveille sans l’aide du prince et que l’héroïne du conte de la vipère à sept têtes se rebelle contre son statut de victime...
Image cover : Marc Chagall, Cirque Bleu